Les secrets d’une mesure de reliquat azoté réussie
1 décembre 11:12
L’azote est un élément essentiel pour la production végétale, directement relié au rendement et à la qualité des récoltes. Sa bonne gestion est donc indispensable en agriculture sur un plan technico-économique mais également environnemental, les excès d’azote pouvant impacter la qualité de l’eau et de l’air. Parmi les leviers mobilisables, la fertilisation azotée peut être raisonnée par la méthode du bilan prévisionnel : la différence entre le besoin de la culture et les fournitures du sol permet d’estimer la dose d’azote à apporter pour équilibrer le bilan.
Quel est le rôle du reliquat azoté dans la méthode du bilan prévisionnel ? Comment bien le mesurer et l’interpréter ?
Voici des éléments clés de compréhension.
Le reliquat azoté : c’est quoi et pourquoi le mesurer ?
Dans un sol, l’azote est présent sous 2 formes :
- l’azote organique, forme majoritaire, représentant un stock généralement compris entre 1 et 6 t/ha. Il provient de l’ensemble des sources organiques restituées au sol (résidus de récolte, couverts d’interculture, matières fertilisantes organiques, exsudats racinaires, …).
- L’azote minéral (nitrique et ammoniacal), issu de la minéralisation du stock organique, est généralement compris entre 10 et 300 kg/ha.
Contrairement au stock d’azote organique qui évolue lentement à pratiques culturales constantes (à l’échelle de la dizaine d’années), la quantité d’azote minéral dans le sol varie fortement au cours d’une année. En effet, les différentes composantes du cycle de l’azote sont soumises au climat et aux pratiques culturales :
Même si la recherche a fortement progressé sur la connaissance du cycle de l’azote, les modèles ne permettent pas encore de simuler avec précision dans tous les cas de figure la quantité d’azote minéral présent à un instant t dans le sol. La mesure du reliquat azoté (azote minéral restant dans le sol) est donc indispensable, notamment pour le raisonnement de la fertilisation azotée par la méthode du bilan prévisionnel.
Cette méthode est basée sur le principe du bilan de masse, qui énonce que l’état final d’un système correspond à son état initial, additionné de ce qui est entré et soustrait de ce qui est sorti.
état final = état initial + entrées – sorties
Le bilan se définit donc sur une période donnée : il y a une date d’ouverture et une date de fermeture du bilan.
Cette écriture a été adaptée au contexte de la fertilisation azotée :
- État final : quantité d’azote à la fermeture du bilan (récolte)
- Entrées : fournitures d’azote (engrais, minéralisation MO sol, PRO, résidus, CIPAN, apports atmosphériques, …)
- Sorties : N absorbé par la culture, pertes d’azote (lixiviation, volatilisation/dénitrification)
- Etat initial : quantité d’azote à l’ouverture du bilan
La récolte est considérée comme l’état final (fermeture du bilan). L’état initial (ouverture du bilan) est plus délicat à choisir. Si la date d’implantation de la culture est le premier choix qui vient à l’esprit, il n’est pas forcément le plus judicieux. En effet, tous les postes du bilan ne sont pas connus avec la même précision.
Facilité de Mesure, calcul ou estimation des différents postes du bilan
Si on considère que les apports atmosphériques compensent la volatilisation / dénitrification, le poste le plus problématique à estimer est la perte d’azote dans les eaux de drainage (lixiviation) entre la récolte du précédent et la fin de la période de drainage. Cela dépend beaucoup du climat et du système de culture, et peut varier de 0 à plus de 60 kg/ha. De plus, même pour les cultures d’hiver, la majorité de l’absorption d’azote a lieu au printemps. L’ouverture du bilan s’effectue donc à la fin de la période de drainage, c’est-à-dire en sortie d’hiver.
La mesure du reliquat azoté (ou reliquat sortie hiver – RSH) permet de quantifier l’azote minéral à l’ouverture du bilan.
Pour en savoir plus sur la méthode du bilan, vous pouvez consulter le recueil de l’agroreporter, pages 33 à 35.
Le reliquat azoté : comment bien le prélever et l’envoyer au laboratoire ?
L’objectif est de quantifier le stock d’azote minéral disponible pour la culture. En effet, la plante assimile l’azote nitrique et ammoniacal présents dans la solution du sol. Contrairement aux autres éléments nutritifs (comme le phosphore, le soufre, le magnésium ou le calcium), l’assimilation de l’azote minéral est passive, principalement dépendante de l’absorption de l’eau par les racines (tout comme pour le potassium). L’azote minéral peut donc être absorbé par l’ensemble du système racinaire, et pas seulement sur les 30-40 premiers centimètres où la présence d’oxygène permet l’assimilation active. La mesure du reliquat azoté doit donc se faire sur une profondeur équivalente à l’enracinement potentiel de la culture. Si la profondeur de sol n’est pas limitante, le prélèvement doit se faire sur 90 cm pour la majorité des cultures (à l’exception des légumes comme la pomme de terre où la profondeur jugée pertinente n’est que de 45 cm).
La stratégie d’échantillonnage doit respecter les bonnes pratiques (12 à 15 prises d’essais élémentaires, maitrise de la profondeur, … pour en savoir plus, voir le mode opératoire et guide de prélèvement dans les ressources en fin d’article). Il est primordial de prélever avant tout apport de fertilisant azoté (organique ou minéral). Un prélèvement après un apport, même de faible quantité, risque de fausser la mesure (effet de surconcentration lors du prélèvement, ou effet pépite).
L’échantillon prélevé doit être conservé dans de bonnes conditions avant analyse. En effet, contrairement aux paramètres de l’analyse de terre physico-chimique, la teneur en azote minéral évolue dans l’échantillon prélevé, principalement par le processus de minéralisation de l’azote organique. Ce processus biologique est très dépendant de la température :
- La minéralisation est stoppée pour des températures inférieures à -4°C
- En froid positif (autour de +4°C), la teneur en azote minéral augmente de moins de 5 % en 3 jours, et moins de 10 % en une semaine
- A 20°C, le teneur en azote minéral peut augmenter de 20 % en 3 jours, et 50 % en 7 jours
- L’effet de la température sur la minéralisation est exponentiel : quand la température augmente de 10°C, la minéralisation est multipliée par 3.
Pour que l’échantillon analysé au laboratoire soit représentatif de la situation au moment du prélèvement, il est donc nécessaire de respecter la chaine du froid : envoi en glacière avec pain de glace, congélation à -20°C si le délai entre le prélèvement et l’arrivée au laboratoire est supérieur à 48h.
Il faut également éviter les cycles congélation / décongélation, qui peuvent occasionner des augmentations de teneur en azote minéral jusqu’à 50 %, surtout pour la fraction d’azote ammoniacal.
Le reliquat azoté : méthode de mesure
A réception au laboratoire, l’échantillon est stocké en froid positif (environ 4°C) avant analyse (pendant 2 jours maximum). La mesure est réalisée sur l’échantillon frais après décongélation maitrisée, selon la norme NF ISO 14256-2 (Qualité du sol – Dosage des nitrates, des nitrites et de l’ammonium dans des sols bruts par extraction avec une solution de chlorure de potassium – Partie 2 : méthode automatisée avec analyse en flux segmenté). Auréa est agréé par le ministère de l’agriculture et accrédité par le COFRAC pour cette mesure.
La maitrise de la température est essentielle tout le long de la chaine analytique : l’échantillon, le KCl pour l’extraction et les salles d’extraction, de filtration et de dosage doivent être autour des 20°C+/-2°C pour garantir une mesure fiable.
Les différentes étapes de mesure au laboratoire
La fiabilité des résultats est également garantie par le respect des procédures qualité : habilitation du personnel laboratoire, contrôle métrologique de l’ensemble des équipements, validation des résultats à l’aide de contrôles (blancs et témoins), représentant environ 10 % des échantillons dosés. Des vérifications systématiques sont réalisées si les teneurs mesurées dépassent les 50 mg/kg pour le N-NO3 et les 30 mg/kg pour le N-NH4. Auréa participe à l’essai interlaboratoire du BIPEA sur lequel se base l’agrément du ministère de l’agriculture (1 échantillon séché / tamisé envoyé tous les mois). Auréa réalise également des essais interlaboratoires pendant la campagne RSH (janvier à mars) sur échantillon frais.
La mesure de teneur en azote minéral étant réalisée sur du sol frais, l’humidité de l’échantillon est également mesurée afin de pouvoir exprimer le résultat en mg/kg de matière sèche (MS).
Attention à ne pas confondre la mesure du reliquat azoté (azote minéral sur échantillon frais) avec la mesure de l’azote total réalisée sur les analyses de terre classiques (échantillon séché et tamisé 2 mm). Si la mesure de l’azote total (par combustion sèche, méthode Dumas) peut permettre d’estimer la fourniture annuelle potentielle en azote minéral, elle ne permet en aucun cas d’estimer la teneur en azote minéral à un instant t.
Calcul du reliquat azoté disponible pour la culture : la teneur en azote minéral ne suffit pas !
En effet, le laboratoire fournit une teneur en azote nitrique et ammoniacal, exprimée en mg/kg MS. L’obtention du reliquat azoté exprimé en kg/ha nécessite de multiplier cette teneur par la quantité de terre fine par ha sur la profondeur de prélèvement.
Reliquat azoté (kg/ha) = teneur en azote minéral (mg/kg) x 0.001 x masse terre fine (t/ha)
avec masse terre fine (t/ha) = profondeur prélèvement (cm) x densité apparente x (100 – pierrosité > 2 mm (%))
La profondeur de prélèvement est issue du terrain, tout comme l’estimation de la pierrosité (au moins pour l’horizon de surface). La densité apparente dépend du type de sol déclaré. Auréa utilise les informations de la base sol d’ARVALIS pour la densité apparente de chaque horizon et la pierrosité des horizons profonds.
La valeur du reliquat azoté ne dépend donc pas uniquement de la mesure au laboratoire, l’imprécision des informations terrain (profondeur prélèvement, pierrosité, type de sol) pouvant engendrer une incertitude supérieure à celle de la mesure laboratoire. En tenant compte de toutes les sources (prélèvement, laboratoire, calcul terre fine), l’incertitude d’un reliquat azoté ne peut pas être inférieure à 10-15 kg/ha. Ainsi il faut généralement plus de 20 kg/ha d’écart pour considérer deux reliquats azotés comme différents.
Il reste encore une dernière étape avant d’aboutir au reliquat azoté disponible pour la culture (poste Ri de l’équation du bilan). En effet, l’azote minéral disponible ne correspond pas exactement à la somme des stocks d’azote nitrique et ammoniacal sur les horizons mesurés :
- Pour l’azote nitrique (N-NO3), 100 % de la quantité en kg/ha est pris en compte sur la profondeur potentielle d’enracinement de la culture. Ainsi, pour un blé, la totalité de l’azote nitrique sera comptabilisé sur 90 cm. Pour une culture à enracinement plus superficiel comme la pomme de terre, seuls les 45 premiers centimètres seront pris en compte (soit 100 % de l’horizon 0-30 cm, 50 % de l’horizon 30-60 cm et 0 % de l’horizon 60-90 cm), d’où l’importance d’adapter la profondeur de prélèvement à la culture
- Pour l’azote ammoniacal (N-NH4), quelle que soit la culture, seuls les 40 premiers centimètres seront pris en compte. De plus, Auréa maximise la prise en compte du N-NH4 à 15 kg/ha (pour plus d’informations, voir la fiche technique sur la prise en compte du NH4)
Affichage des différentes valeurs d’azote minéral sur le rapport de reliquat azoté
En résumé, pour une mesure de reliquat azoté réussie :
- Prélèvement au bon moment, sur la profondeur potentielle d’enracinement de la culture
- Respect de la chaine du froid
- Chaine laboratoire maitrisée
- Fiche de renseignement bien remplie (profondeur, pierrosité, type de sol, culture)
Ressources
Mode opératoire et guide de prélèvement
Attestation d’accréditation COFRAC



